25 Novembre 2010
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Romantique et naif, Florent est conduit au bagne. Il n'a commis aucun crime, si ce n'est celui de ne pas avoir participé à la protection, sur les barricades, des " libertés publiques menacées" Ce que Victor Hugo avait nommé le crime du coup d'Etat du 2 Décembre. Il avait tout seulement essayé de porter secours à une jeune victime de ces combats meurtriés. Et c'est avec des habits tachés de sang et sans aucune preuve, que les policiers l'ont incarcéré, puis déporté ..
Après son évasion du bagne de Cayenne. il revient à Paris, affamé, pendant la période du second empire; et ce sont les halles qui vont lui offrir une protection éphémère. Ce personnage rétif au bonheur personnel: n'envisage que la bonheur collectif, c'est désormais un révolutionnaire, un des ces agités romantiques tel qu'on en voit dans la littérature et la réalité russe de l'époque: un utopiste mais aussi un incompris.
Ce roman prend tout naturellement sa place, dans la saga des Rougon-Macquart. Claude Lantier, le peintre de " l'Oeuvre" représente cette dynastie.
Le ventre de Paris c'est métaphoriquement le quartier des Halles où ont été récemment construit les pavillons par Victor Baltard, et cette personnification d'un quartier tend à faire de la ville, lieu de toutes les digestions, un organisme physiologique. La ville a un ventre; c'est l'endroit où grouille, où s'échange, où se transforme et disparâit, la nourriture qui arrive chaque petit matin, des abattoirs, des plaines maraîchères où se trouvent maintenant les banlieues, et des lointaines pêcheries. Dans ce livre les beaux quartiers sont des quartiers de viande. Ce ne sont encore que cadavres d'animaux réduits en carcasses, monceaux de verdure, fruits légumes, volailles vivantes qui ne seront égorgées que plus tard dans les sous sols, poissons qui finiront dans les viviers de la Belle Normande, une des poissonnières protagoniste de l'oeuvre. Les fruits et légumes s'amoncellent pendant le laps de temps entre leur arrivée et leur vente aux grossistes et petits détaillants traîne misère qui fréquente le lieu.
Les descriptions de Zola évoquent des tableaux picturaux, portraits légumiers d'Arcimboldo, tables croulantes de bouffe de Breughel, pleins de sensations olfactives du Courbet qui pue..
Le monde dans lequel il aboutit est celui des boutiquiers, des harengères mais aussi des vrais et faux comploteurs. Son frère a acquit une position comme charcutier, grâce à l'esprit avisé de sa femme, la belle Lisa. Il a pu profiter du courant libéral (libéralisme économique et ébauche de libéralisme politique qui marque l'Empire à ce moment) propice aux affaires: "l'Empereur voulait le plaisir de tous les gens comme il faut". Recueilli par ce frère il refuse dans un premier temps la part d'héritage à laquelle il a droit, vivote aux crochets du couple de charcutiers et commence à se compromettre avec des apprentis révolutionnaires. Sa condition d'évadé a été soigneusement cachée dans le quartier. Las, les commérages, les mauvaises intentions des petits, des mesquins l'obligent à occuper la place que sa famille le pressait d'accepter. Malgré cette position acquise contre sa volonté (sous la pression de sa belle soeur et en dépit de sa répugnance à travailler pour un gouvernement qu'il abhorre, il occupe la place de contrôleur aux Halles) il devient la cible de la méchanceté publique.
Tout ce que l'humain peut avoir d'ignominieux se déchaîne pour le faire choir. Nul ne saurait avoir de cesse que ne soit percé à jour le secret de cet homme maigre dont l'aspect jure dans ce monde de gros gras satisfaits. Et sa peau, sa peau de maigre, seule chose qu'il a sur les os avec les vêtements de seconde main de son frère, on l'aura. Ce sera le triomphe des gros et gras emmenés pourtant par la famélique Melle Saget qui a voué cet autre famélique à sa perte. Un maigre trahi par une maigre? La Saget aimerait tant faire partie du monde des gras bien nourris, elle qui quémande sa nourriture, la troque contre les ragots qu'elle colporte.
On en veut à Florent, nous lecteurs, de sa propre bêtise, de son aveuglement, de cet état de "pitoyable comploteur" dans un "petit monde de comploteurs aigris" dans lequel il se complait et où il cohabite avec ce Gavard qui rêve, ce pourtant nanti, de donner un "grand coup de balai", alors même que l'Empire sort de sa phase autoritaire.
Au lieu d'accepter le bonheur simple que lui offre la bonne Mme François, rare personnage doué de tendresse de cette pitoyable histoire, ce benêt, ce songe-creux, fait son propre malheur.
Les bien pensants finiront par faire "son affaire au Rouge" et une fois leurs querelles vidées (oh l'inimitié entre la belle Lisa la charcutière et la belle Normande la poissonnière!) tout le quartier réconcilié avec lui-même pourra continuer ses activités alimentaires. " Jamais les gens de moeurs paisibles n'avaient engraissé si bellement" . L'Empire et la libre entreprise cristallisent "tout l'espoir des médiocres".